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Balkans : l'épopée des migrants et l'hypocrisie européenne

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Hygiène, santé, violences policières : la situation des migrants qui tentent de gagner l'Union européenne à travers les Balkans est partout alarmante. En Grèce, le Premier ministre Tsipras a appelé un changement radical de politique, en en faisant « une question d'humanisme et de solidarité». Le coordinateur régional de Médecins sans frontières fait le point, pays par pays.

Propos recueillis par Philippe Bertinchamps

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© Dalibor Danilović

« Dans une briqueterie abandonnée à Subotica, près de la frontière entre la Serbie et la Hongrie, il y avait un Iranien qui ne pouvait pas marcher. Ses jambes étaient paralysées. Pendant des kilomètres, ses copains l'ont porté. Lui, il voulait un fauteuil roulant pour jouer au basket. Dans son pays, il pratiquait ce handisport. Finalement, quand MSF lui en a trouvé un, il était trop tard. Il avait traversé la frontière à dos d'homme. » Stuart Alexander Zimble est le coordinateur régional de Médecins sans Frontières dans les Balkans.

Le Courrier des Balkans (CdB) : Qui sont ces migrants ?

Stuart Alexander Zimble (SAZ) : Ils ont des idées et des espoirs différents, mais tous veulent rejoindre l'Europe. Ils viennent d'Afghanistan, du Pakistan, d'Irak, d'Iran, de Syrie, des pays d'Afrique ou du Maghreb... Certains sont à la recherche d'un refuge pour eux et leur famille, dont la vie est en danger. D'autres veulent se rendre dans un pays spécifique où ils ont des proches déjàétablis, où il savent que se trouve une diaspora importante. La grande majorité fuit la violence, comme ces Afghans que les talibans ont forcés à partir. Beaucoup ont fait la route via la Turquie. Ils ont pris le bateau ou traversé le fleuve Evros. En Grèce, s'ils ont été appréhendés, ils ont été envoyés à Athènes et placés en détention. Il fut un temps, avant la crise, où il était possible de travailler en Grèce. J'ai connu un migrant qui a passé 18 ans à Athènes. Mais depuis 2008, la pression dans la société s'est accrue, notamment avec la montée du parti néonazi Aube dorée. Les migrants sont de moins en moins tolérés et cherchent vite un moyen de rejoindre la plus proche frontière.


Retrouvez notre dossier :
Migrations : les Balkans, antichambre de l'Union européenne


CdB : Le gouvernent Tsipras promet le changement.

SAZ : On peut être raisonnablement optimistes. Le gouvernement a promis de fermer le camp d'Amigdaleza près d'Athènes. En théorie, tous les camps de détention devraient être remplacés par de vrais centres d'asile. Mais pour cela, il faut de l'argent et des infrastructures. Cela fait partie des discussions avec les autorités européennes. Alexis Tsipras en appelle à l'humanisme et à la solidarité. J'espère que ce gouvernement, à la différence des précédents, mettra en œuvre une politique plus accueillante. Et que l'Union européenne sera capable de s'adapter.

CdB : Autre route depuis la Turquie, la Bulgarie...

SAZ : Les centres ouverts bulgares ressemblent à des dortoirs géants. Au moins, les migrants sont logés et nourris, ils ont droit à des soins de santé. Ils comprennent cependant que la politique d'asile n'est pas faite pour les intégrer. Faute d'opportunités, ils se remettent en route vers l'Europe du Nord. Le schéma est plus ou moins le même dans tous les pays de la région. Les migrants n'ont pas l'intention d'y rester. Ce sont des pays de transit.

CdB : Mais leur nombre continue d'augmenter.

SAZ : Oui, à cause de la multiplication des conflits dans le monde. Mais les statistiques ont aussi augmenté quand les contrôles aux frontières se sont renforcés. En 2014, selon les données du Commissariat aux réfugiés, 16 490 personnes ont reçu un formulaire d'asile en Serbie. En 2013, il y en avait 5 066. Et quelques années plus tôt, une centaine... Selon mes calculs, plus de 30 000 personnes ont traversé le pays clandestinement l'an dernier. Par comparaison, en Grèce, 46 000 réfugiés ont été enregistrés. Un afflux qu'un pays en crise ne peut pas absorber.

CdB : Quelles sont les capacités d'accueil de la Serbie ?

SAZ : Il y a cinq centres d'asile. À Banja Koviljača, Bogovađa, Krnjača, Tutin et Sjenica. Mais la capacité totale n'excède pas 700 lits. Les migrants n'y restent jamais longtemps, tout au plus quelques jours ou semaines. Au moins, ils ont un endroit où ils se sentent en sécurité, peuvent se reposer et récupérer avant de se remettre en route. Malheureusement, la majorité est forcée de rester dehors. La Serbie pourrait tirer profit d'une aide plus généreuse de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) en assurant leurs droits élémentaires. Il y a des failles dans le système. Tout le monde ne reçoit pas la protection qui lui est due. Beaucoup de demandeurs d'asile n'ont pas d'abri, faute de place ou de ressources humaines. La seule solution pour eux est de continuer la route.

CdB : Comment réagit MSF ?

SAZ : Nous apportons des soins de base. Souvent, nos patients n'ont pas de papiers et sont terrifiés par la police suite à de mauvais traitements en Grèce ou en Macédoine. Ils évitent les autorités en général, car ils ne savent pas ce qui peut leur arriver. MSF leur fournit aussi une trousse de secours, de la nourriture, des vêtements, des chaussures. Ces personnes ont fait des milliers de kilomètres à pied. Parfois, elles ne savent pas dans quel pays elles se trouvent. Des passeurs leur ont fait croire que le péage sur l'autoroute était un poste frontière.

CdB : Quelle est la situation en Macédoine ?

SAZ : La Macédoine a très mauvaise réputation. Tous les migrants, sans exception, qui l'ont traversée rapportent des expériences terribles. Il y a un centre d'asile à Vizbegovo et un centre de détention à Gazi Baba avec une capacité de 120 lits, sachant que 200 à 300 personnes y sont enfermées en permanence. Ceux qui traversent le pays sont victimes d'abus de la police ou des trafiquants. De nombreux migrants y ont perdu la vie. Des corps ont été trouvés le long de la voie de chemin de fer. Accidents ou pas, le message est clair : la Macédoine n'est pas un pays sûr.

CdB : La police ferme-t-elle les yeux ?

SAZ : Je n'ai pas de preuves, mais il faudrait être naïf pour ne pas envisager cette possibilité. C'est pareil dans tous les pays de la région. La corruption des fonctionnaires n'est pas forcément systématique. Plutôt des petites opportunités faciles à saisir.

CdB : Que dit l'Union européenne ?

SAZ : Elle fait part de sa préoccupation intense, jusqu'à un certain point. L'an dernier, une délégation s'est rendue à Mladenovac, non loin de Belgrade, dans l'idée de transformer une caserne désaffectée en centre d'accueil pour les demandeurs d'asile. Les autorités serbes n'en ont pas informé la communauté locale qui a protesté en bloquant les routes et en scandant des slogans racistes. La délégation européenne a fait demi-tour et l'argent n'est jamais arrivé. Bien sûr, ce flot de migrants rend l'Europe nerveuse. Mais c'est le résultat des politiques mises en place auparavant.

CdB : Et MSF ?

SAZ : MSF envoie des rapports à Bruxelles. Selon nous, depuis quatre ans, les progrès en politique migratoire sont trop lents. Il faut identifier la source du mal et réfléchir en termes de résultats. Athènes a souvent été réprimandée par l'UE à cause de sa politique d'asile. Mais elle n'a jamais reçu d'aide financière à la hauteur du problème. L'UE est trop procédurière. Si les formalités sont remplies, les technocrates repartent satisfaits. Mais les résultats ? Turquie, Méditerranée, Italie, Grèce, Balkans, les réfugiés sont forcés par le système de mettre leur vie en danger.


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